Tell el-Amarna
La Vallée Des Rois Abandonnée ?

C'est dans la cité sacrée de Tell el-Amarna que la pharaon Akhenaton (Aménophis IV) réalisa celle que l'on peut définir comme la première révolution religieuse de l'Histoire. Akhenaton fut, en effet, le premier et unique roi égyptien qui décida d'abolir le culte polythéiste et de le remplacer par le monothéisme. Considéré comme hérétique par les prêtres, Aménophis IV régna d'abord aux côtés de son père, puis seul (de 1350 à 1335 av. J.-C.).
Une nouvelle religion monothéiste
Le pharaon imposa le passage du polythéisme au monothéisme, en substituant aux dieux traditionnels un seul et unique dieu : Aton, nom qui signifie “disque solaire”. Il changea également son nom Imenhotep (qui signifie “Amon est gracieux”) en Akhenaton (“le serviteur d'Aton”). Le grand prêtre d'Amon, dieu national, fut ainsi privé de ses possessions et de ses pouvoirs, ce qui provoqua un grand mécontentement dans les hautes sphères religieuses.
Selon un chemin théologique inspiré directement par le dieu (Aménophis IV prétendait être le prophète d'Aton), la nouvelle religion exaltait l'harmonie universelle, la beauté de la nature et l'amour entre les hommes. Dans une Égypte où dominaient le culte de la puissance et la matérialisme, cette nouvelle religion ne fit que peu d'adeptes. Lorsqu'Aménophis IV devint pharaon, le pays était à l'apogée de sa puissance. Sous le guide de quelques prestigieux souverains (la dynastie de Touthmôsis), les enfants du Nil s'étaient lancés dans une grande politique de conquêtes, en étendant leur domination à l'est sur la Palestine, la Syrie et jusqu'à l'Euphrate.
La Vallée des Rois au coeur de l'ancienne religion polythéiste

L'image du “pays des pharaons” qui avait bâti son pouvoir autour des pyramides n'était plus qu'un souvenir du passé : durant le Nouvel Empire (1580-1090), l'Égypte avait acquis un prestige international, avec une armée parmi les plus organisées et motivées, et un réseau commercial bien développé, qui garantissait à l'empire des échanges favorables avec les pays les plus lointains. Forte de cette richesse, la cour menait une vie luxueuse, comme en témoigne l'art de cette période. La ville de Thèbes, située dans la célèbre Vallée des Rois, était le centre du pouvoir religieux ; elle était consacrée à Amon, roi des dieux (Ammone-Râ) et divinité absolue de la Haute et de la Basse Égypte, dont le culte était célébré dans le grand temple de Karnak. Grâce aux incroyables privilèges dont ils jouissaient, les prêtres du Dieu Amon constituaient une sorte de petit État à part : premier exemple, peut-être, de la vieille opposition entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. La fin du règne d'Aménophis III, père d'Akhenaton, avait été déjà marquée par une certaine décadence : la grandeur et la splendeur qui avaient caractérisé cette époque semblaient troublées par l'absence de spiritualité, d'instances intérieures créatrices de valeurs. C'est ce sens de la spiritualité qu'essaya de restaurer Aménophis IV en fondant ce qu'on pourrait définir comme la première hérésie de l'histoire des religions.
Tell el-Amarna la nouvelle capitale
Le nom d'Amon fut effacé des portes du temple et la cour abandonna Thèbes. On bâtit alors une nouvelle capitale (un des chefs-d'oeuvre de l'architecture égyptienne, avec des rues larges, des quartiers résidentiels, des temples, et une structure urbanistique assez innovatrice) située plus au nord, près de l'actuelle Tell el-Amarna. Pendant ce temps, le pharaon, soutenu par sa femme Néfertiti, continua son action de suppression du polythéisme en faveur du culte monothéiste d'Aton.
Aton, cité du soleil

L'action de l'homme et du sable a détruit les grands temples et palais de la capitale construite par le pharaon hérétique. À 40 kilomètres environ de Beni Hassan, on peut aujourd'hui visiter les vestiges de Tell el-Amarna, qui ont permis de reconstituer sur papier l'ancienne cité, épicentre d'un monothéisme innovateur. C'est le long du Nil que furent construits le palais du pharaon, le grand temple, le palais d'Aton et la cité proprement dite. Plus au sud, un temple s'élevait sur le fleuve, tandis que les tombeaux, dirigés vers l'est, étaient distribués au nord et au sud de l'emplacement. Aucun de ces tombeaux ne fut complété, et l'on pense qu'ils n'ont jamais été utilisés.
Situé au nord au palais de Tell el-Amarna, au milieu d'une enceinte de 800 mètres x 300 mètres, le grand temple était formé à l'intérieur d'un ensemble de cours qui se succédaient. L'architecture du sanctuaire était différente de l'architecture égyptienne classique. Contrairement à Louxor ou Karnak, où le sanctuaire était une chambre secrète réservée aux rites et dont l'accès était réservé au pharaon et aux prêtres, le sanctuaire d'Aton était ouvert et dépourvu de toute structure susceptible d'empêcher l'entrée de la lumière du soleil. Akhenaton avait souhaité, d'ailleurs, que toute l'architecture de la capitale reflète l'ouverture au grand culte monothéiste. Le désir du pharaon était de se libérer lui-même, mais surtout les autres hommes, du fardeau des limites terrestres, indiquant le chemin pour s'élever et écouter la voix divine. Il finit par se retrouver seul, enfermé dans son palais de Tell el-Amarna, entouré d'une poignée de fidèles. Entre-temps, à l'extérieur, la grande Égypte, colonialiste et belliqueuse, privée de la protection de son panthéon polythéiste, ainsi que d'un guide, perdait sa splendeur.
Amon à nouveau célébré

Le grand rêve d'Akhenaton allait s'achever, une restauration s'imposait et la raison d'État l'emporta sur les instances spirituelles. Aménophis IV n'ayant pas de fils, son frère Toutankhaton lui succéda. Celui-ci poursuivit l'oeuvre de restauration jusqu'à changer son nom en Toutankhamon, scellant ainsi le retour au passé. Son règne fut toutefois bref et, après “l'enfant pharaon”, les pharaons de la nouvelle dynastie furent tous des guerriers. Les terres perdues furent reconquises, les vassaux regagnèrent confiance. Amon fut à nouveau célébré par des rites fastueux, les nombreuses divinités locales reconquérirent leurs fidèles et le clergé regagna le pouvoir perdu. Le pharaon Horemheb, dont la personnalité a été ironiquement esquissé par Mika Waltari dans Sinouhé l'Égyptien, condamna la mémoire d'Aménophis et de Toutankhamon, effaçant leurs noms de tous les monuments et les stèles. Mais les quelques coups de ciseau qui mutilèrent les cartouches ne réussirent pas à effacer le souvenir du règne assez court d'un pharaon courageux. Et ils ne parvinrent pas non plus à freiner le retentissement d'une hérésie capable de suggérer cette idée d'harmonie qui aujourd'hui, après plus de 3 000 ans, pousse l'homme à ne pas se satisfaire uniquement de son existence quotidienne.
