La Croisade des Enfants de 1212

Aller à Jérusalem pour y libérer le tombeau du Christ, c’est le but insensé poursuivi par des milliers d’enfants partis sur les chemins tragiques d’une croisade que les historiens ont bien de la peine à expliquer.
En juin 1212, un jeune berger prénommé Étienne proclame partout que Jésus lui est apparu et lui a confié une lettre pour le roi de France. Le voilà bientôt en route, accompagné d’autres pâtres du même âge mais aussi des hommes que son charisme attire. Le « saint enfant », comme on le nomme, se rend auprès de Philippe Auguste à la tête d’une grande procession chantant des hymnes et portant des bannières. Mais le roi n’est guère convaincu. Déçue, la foule se disperse; certains hommes s’enrôlent pour la « croisade des albigeois » qui s’en va lutter contre les cathares dans le sud du royaume.
Les saints enfants
Dans la vallée du Rhin, un peu plus tôt au cours du même printemps 1212, ont lieu des événements comparables, mais de plus grande ampleur. Des enfants très jeune – à partir de 6 ou 7 ans – échappent à la surveillance de leurs parents et, par groupes de quelques dizaines, prennent le chemin de Jérusalem. Le mouvement est parti de Cologne, d’où est originaire le jeune Nicholas, qui a pris la tête du groupe le plus important.
Partis d’Allemagne, n’écoutant ni les conseils de prudence ni les invitations à partir combattre l’hérésie cathare qui est un ennemi moins lointain que les musulmans, ces jeunes gens traversent d’abord l’Alsace puis les Alpes.
Une épopée tragiques
Des prêtres exaltés les accompagnent sans doute, mais le clergé, dans son ensemble, condamne une entreprise insensée. Seuls quelques laïcs se prennent de sympathie pour un mouvement si spontané et aident les jeunes voyageurs à survivre. Arrivés en août sur les côtes italiennes (ou, pour quelques-uns, à Marseille), rares sont ceux qui peuvent embarquer pour la Terre sainte, et beaucoup d’entre eux seront vendus comme esclaves. Une infime partie seulement des enfants aura encore la force de prendre le chemin du retour. Quant à Nicholas, selon les chroniques il aurait plus tard participé à la Ve croisade, à moins qu’il n’ait trouvé la mort en Italie. Dans l’échec de cette croisade, les contemporains ont vu l’oeuvre du démon : si les enfants ont échoué, n’est-ce pas parce que Dieu était hostile à leur projet? Les historiens du Xxe siècle, eux, tentent de trouver des explications à ce phénomène de grande ampleur, qui, sous une forme ou une autre (par exemple avec la croisade dite “des Pastoureaux” en 1251), se répétera aux XIIIe et XIVe siècles.
La force des prédictions
Pourquoi, en effet, des enfants et des adolescents se précipitent-ils ainsi sur les routes, à plusieurs reprises, en quête d’un but si lointain? Il est vrai qu’après la chute de Jérusalem en 1187 devant l’armée de Saladin, les différentes croisades ont échoué, le combat entre la chrétienté et l’islam se déroule désormais non seulement en Terre sainte, mais aussi en Anatolie et en Espagne où, en 1212 justement, les royaumes chrétiens remporteront la victoire décisive de Las Navas de Tolosa. Les prédicateurs ne manquent pas alors pour appeler à la reconquête de la cité de Dieu – Jérusalem, et sans doute la présence des « infidèles » aux portes du royaume a-t-elle exacerbé la ferveur religieuse, même chez les plus jeunes. Mais ce sont les régions du nord-est de la France, des Flandres et de la vallée du Rhin qui ont été les plus touchées, là même où une fermentation sociale se superpose à l’effervescence religieuse : l’économie y est alors en pleine transformation, les villes se développent, la population croît rapidement et avec elle la pauvreté.
L’impact des prédicateurs vantant les richesses de la Terre sainte se trouve alors décuplé chez les plus pauvres. Mais ni le mysticisme ni la nécessité économique ne suffisent à justifier que d’aussi jeunes gens se soient lancés sur les routes de Jérusalem.
