Nos Ancêtres Étaient-Ils Un Peuple Cannibale ?

C’est une réalité bien difficile à admettre que celle d’avoir des ancêtres anthropophages, et pourtant… Le doute plane toujours sur certaines pratiques alimentaires des hommes du Paléolithique.
Les hommes du Paléolithique qui ont orné les grottes et réalisé les chefs-d’oeuvre de Lascaux, la « chapelle Sixtine de la préhistoire », ont longtemps flatté notre orgueil avant que l’on ne s’avise que nos ancêtres étaient cannibales! La mise au jour, en plusieurs sites, des restes de ces festins humains a d’abord fait horreur et mis à mal un mythe complaisamment entretenu. Puis la science a tenté d’apporter des réponses à ces pratiques.
Longtemps l’image du « bon sauvage » vivant en harmonie avec une nature prodigue a prévalu dans l’esprit des gens. Comment imaginer que ces 20 000 à 50 000 hommes du Paléolithique hexagonal auraient pu être violents, plus encore « déviants », puisqu’il leur suffisait de cueillir, de pêcher et de chasser en profitant de ressources illimitées que nul ne songeait à leur contester? Ils avaient même le temps de peindre ou de graver les parois de leurs grottes!
Alors pourquoi donc manger l’autre? Mythe d’un âge d’or de l’humanité avant que ne survienne le Néolithique à partir du VIIe millénaire avant notre ère, et que l’homme prédateur mais pacifique devienne producteur jalousé, élève ses animaux et cultive ses terres… au risque de susciter la concupiscence, donc la violence, pour défendre ses biens et en acquérir d’autres.
La violence existe depuis toujours…
Peintures et gravures rupestres mettant l’homme en scène sont si rares qu’il a fallu attendre, tout récemment, l’analyse scientifique des sépultures pour nous rendre compte que les animaux n’étaient pas les seules victimes de la « violence » des hommes. Ainsi en témoignent trois fosses découvertes sur le site de Fontbrégoua dans le Var : les restes de quatorze personnes (adultes et enfants) montrent bien que les corps ont été dépecés, décharnés et brisés, et les stries visibles sur les os proviennent de couteaux de silex, en somme d’instruments primitifs de « boucherie ».
Les chasseurs du Paléolithique avaient-ils coutume de casser les os longs (fémurs, humérus) pour en extraire la moelle et la consommer, voire de concasser les petits os en fines esquilles pour engraisser un bouillon chaud? En tout cas, les auteurs de la fouille penchent vers la thèse d’un « cannibalisme alimentaire ».
D’autres fouilles dans la grotte des Perrats, à Agris, en Charente, confirment cette hypothèse. En effet, l’analyse des restes osseux de cinq adultes et de trois enfants témoigne de fractures délibérées, de signes de décarnisation sur les os, bref d’un véritable travail de boucherie poussé jusqu’au bris des crânes pour en extraire la masse cérébrale. Il reste même des traces de mâchement de certains os qui ne doivent rien à une intervention animale!
Manger son prochain par respect
L’objectif nutritionnel du peuple cannibale était-il primordial? Nombre d’anthropologues en doutent et croient que l’ingestion de sang, de chair ou de moelle relevait plutôt d’un comportement guerrier, d’un acte symbolique pour faire disparaître l’ennemi vaincu, voire s’approprier sa force et son courage en le consommant.
Nous ne savons pas si les « victimes » de Fontbrégoua étaient des ennemis ou appartenaient à la même communauté. Dans la seconde hypothèse, il pourrait s’agir d’un acte sacrificiel pour plaire aux divinités ou aux puissances surnaturelles. L’ingestion devient ainsi non plus un meurtre, mais un sacrifice, symbole d’une purification rédemptrice pour la communauté.
Enfin l’on peut fort bien imaginer, c’est du moins l’hypothèse de certains préhistoriens, que le cannibalisme permettait de se nourrir tout en restant dans le cadre d’un rituel funéraire, les consommateurs survivants intégrant ainsi le corps et l’âme de leurs défunts dans le contexte d’une relation privilégiée entre morts et vivants et il ne s’agissait nullement pour le peuple cannibale d’un acte de barbarie.
Faute de preuves archéologiques irréfutables, il faut se contenter de ses hypothèses pour expliquer le comportement de nos ancêtres, sans pouvoir apporter de réponses certaines à l’une des grandes interrogations de notre préhistoire.
Des pratiques qui n’ont pas totalement disparu
Si les preuves manquent pour démontrer l’anthropophagie de nos ancêtres, on sait aujourd’hui que des peuplades primitives s’y livreraient toujours. C’est en 1956 qu’un médecin découvre au sein d’une tribu de Nouvelle-Guinée, les Fore, une étrange épidémie affectant 300 à 400 personnes chaque année. Les indigènes parlent du kuru ou « frisson », auquel aucun traitement ne vient à bout. On pense alors à une maladie génétique circonscrite à cette peuplade isolée avant qu’on ne songe à une forme particulière de la maladie de Creutzfeld-Jakob, une encéphalopathie spongiforme. Un vétérinaire, lui, évoque la tremblante du mouton. C’est alors qu’on découvre que les Fore se livrent à des scènes de cannibalisme rituel au cours desquelles le défunt est mangé par ses proches. La consommation des viscères d’un défunt infecté par l’agent pathogène du kuru expliquerait l’épidémie.
