Les Fées Existent Elles Seulement Dans Les Contes ?
Une Histoire Féérique

Dans l’été 1897, le poète irlandais William Butler Yeats parcourut le comté de Galway en compagnie de lady Augusta Gregory, son amie et sa protectrice, pour recueillir les contes de fées traditionnels de la région. Yeats avait déjà publié deux recueils des contes et légendes de son comté natal de Sligo. Mais durant ce voyage, il se rendit compte que la plupart des habitants des campagnes irlandaises croyaient dur comme fer à l’existence des fées ; pour eux, il ne s’agissait pas de vagues superstitions, mais d’une réalité de l’existence.
Les fées et les faits
Si le père de Yeats était un rationaliste, le poète était pour sa part enclin à croire à l’existence de vrai fées, en réaction au matérialisme du monde moderne. Son travail avec lady Gregory le convainquit que cette foi dans la réalité des fées ne se réduisait pas au désir enfantin de croire au merveilleux.
Quelques années plus tard, Yeats poussa l’orientaliste Walter Evans Wentz à étudier le folklore celtique. En 1911, ce dernier publia The Fairy – Faith in Celtic Countries, une somme érudite, fruit de longues recherches sur le terrain. Dans sa conclusion, Evans-Wentz écrivait que “des centaines de cas avérés” prouvaient la réalité des phénomènes attribués à l’existence des fées.
Deux vrai fées
En 1920, le Strand Magazine annonçait en première page de son édition de Noël : “On a photographié des fées! Un événement historique, décrit par A. Conan Doyle”. En face de l’article annoncé figuraient les photographies de deux jeunes filles assises dans un pré, en compagnie de petites fées aux ailes translucides qui cabriolaient autour d’elles.
Ce n’était pas un poisson d’avril avant l’heure. Conan Doyle et ses amis journalistes étaient convaincus que ces photographies prouvaient l’existence des petits êtres magiques. La polémique allait faire rage pendant 60 ans.
Les deux jeunes filles, Elsie Wright et Frances Griffiths, vivaient dans le village de Cottingley, dans le Yorkshire. Elles avaient pris ces clichés trois ans plus tôt, en 1917, et elles n’en démordaient pas : elles avaient réellement photographié de vrai fées !
Un conte de fées
Francis Griffiths, alors âgée de dix ans, et sa mère Annie s’étaient installées au mois d’avril 1917 à Cottingley. Frances a raconté plus tard qu’elle s’était très vite rendu compte qu’il y avait des fées dans les prés environnants, en particulier au bord du petit ruisseau qui coulait au fond de son jardin :
“Un soir, après l’école, j’étais descendue au bord du ruisseau, à mon endroit favori, près du saule… lorsqu’une feuille du saule s’est mise à s’agiter violemment – une seule feuille. Cela s’était déjà produit auparavant – il n’y avait pas de vent, et il était étrange qu’une seule feuille bouge ainsi… J’ai regardé plus attentivement : un petit homme, tout de vert vêtu, était posté sur la branche ; il tenait la tige de la feuille dans sa main, et il l’agitait en direction de quelque chose que je ne voyais pas. Je n’osais bouger, de crainte de l’effrayer. Il m’a regardée droit dans les yeux et il a disparu.”
Frances décida de ne souffler mot à quiconque, de peur des moqueries. Mais comme elle était tombée plusieurs fois dans le ruisseau, sa mère et sa tante exigèrent des explications, et la fillette finit par avouer : “Je vais voir les fées !”
C’est alors que sa cousine Elsie Wright, âgée de quinze ans, prit sa défense, en affirmant qu’elle aussi avait vu des fées. Pressées de questions, les deux enfants maintinrent leurs affirmations.
La caméra ne ment jamais
Un après-midi de juillet 1917, Elsie emprunta à son père Arthur Wright son appareil photo (une chambre photographique). Les deux jeunes filles coururent vers le ruisseau, et revinrent une demi-heure plus tard. En développant la plaque, Wright constata qu’elle montrait Frances allongée au bord du ruisseau : auprès d’elle apparaissaient quatre petites formes humaines, avec des ailes dans le dos – apparemment quatre fées qui dansaient…
L’histoire serait tombée dans l’oubli, si après la guerre la mère d’Elsie, Polly Wright, n’avait pas parlé des photographies lors d’une réunion de la section locale de la société de théosophie. Des tirages circulèrent bientôt parmi les théosophes de Bradford. Edward L. Gardner, qui dirigeait la loge londonienne de la société, demanda à voir les tirages originaux et les négatifs. Il les fit examiner par un photographe professionnel, Harold Snelling. Ce dernier lui déclara que les négatifs lui semblaient authentiques.
Gardner était enchanté. Dans l’été 1920, il eut le plaisir de recevoir une lettre de sir Arthur Conan Doyle. Le créateur de Sherlock Holmes, qui avait alors soixante ans, n’était pas théosophe, mais il était depuis plusieurs années adepte du spiritualisme. Le Strand lui avait commandé un article sur les fées, et la nouvelle des photos de Cottingley lui semblait un don du ciel.
Fin juillet 1920, Edward rendit personnellement visite aux Wright. Bien que père d’Elsie lui ait dit qu’à son avis les photos étaient truquées, Gardner répondit à Conan Doyle qu’il était convaincu que les jeunes filles disaient la vérité.
Sensationnel !
L’édition du Strand fit sensation ; les fées de Cottingley furent le principal sujet de conversation autour des tables de réveillon londoniennes. Les rationalistes étaient scandalisés qu’on abusât ainsi de la crédulité infantile du public.
La polémique finit par s’apaiser, et pendant quarante ans on oublia les jeunes filles et leurs fées. Elsie épousa un ingénieur qu’elle suivit en Inde ; Frances se maria avec un militaire et vécut longtemps à l’étranger. Puis, en 1965, le journaliste Peter Chambers, du Daily Express, retrouva la trace d’Elsie dans les Midlands. Il était convaincu que les photos étaient truquées ; le commentaire que lui fit Elsie, alors âgée de soixante ans, selon lequel c’était à chacun de se faire son opinion, ne fit que confirmer ses soupçons.
En 1976, l’enquêteur Joe Cooper réalisa un documentaire sur l’affaire. Il fit revenir Elsie et Frances à Cottingley. Devant les caméras, les deux femmes reconnurent l’endroit où Frances avait rencontré le gnome. Toutes deux nièrent catégoriquement avoir falsifié les photos.
Rebondissements
Tout rebondit en 1977. En travaillant sur l’iconographie des fées au XIXe siècle, un chercheur du nom de Fred Gettings tomba sur un ouvrage intitulé le Princess Mary’s Gift Book, publié en 1914 au profit du Work for Women Fund. Il comprenait entre autres un poème d’Alfred Noyes, “A Spell for a Fairy”, illustré par Claude Shepperson. Or deux des fées dessinées par Shepperson ressemblaient à s’y méprendre à celles de la première photo de Cottingley.
En septembre 1981, Frances demanda à Joe Cooper de venir la voir, car il y avait “quelque chose qu’il devait savoir”. Et devant une tasse de café, elle lâcha : “De là où j’étais, je voyais très bien les épingles à chapeau qui maintenaient les images. Je me suis toujours émerveillée qu’on ait pu prendre tout ça au sérieux.”
“Et pourquoi me dites-vous ça maintenant?”, demanda Cooper éberlué. “Parce qu’Elsie l’a déjà révélé à Glenn”, répondit-elle. “Et les quatre autres? Ce sont aussi des faux?” La réponse fut encore plus sidérante que l’aveu qui avait précédé : “Trois d’entre elles sont truquées. Mais la dernière est authentique!”
Fin 1982, Cooper publia dans la revue The Unexplained un article intitulé “Cottingley : enfin la vérité”, dans lequel il révélait que les fées des quatres premières photos étaient des images découpées, fixées aux branches par des épingles à chapeau. Frances et Elsie en furent outrées. Lorsque Frances appela la femme de Cooper au téléphone le jour de l’an 1983, ce fut Cooper qui décrocha ; elle le traita de “traître” et raccrocha. Frances mourut en 1986. Elsie assura jusqu’à sa mort en 1988 qu’elle n’avait en fait jamais vu de fées.
