Incendie du Reichstag
Marinus Van der Lubbe Coupable ?

C'est l'acte fondateur du régime nazi. Déjà chancelier, Hitler doit gagner les élections législatives du 5 mars 1933. À tout prix. L'incendie du parlement, attribué à un complot communiste, tombe à pic. Même si l'ombre des SA plane sur l'attentat... Mais il faudra attendre 1993 et l'ouverture du mystérieux “Fonds n. 551” pour savoir ce qui s'est vraiment passé.
Les passant n'en croient pas leurs yeux. Pourtant, ce sont bien des flammes qui crèvent soudain le toit de l'immeuble du Parlement. Le Reichstag brûle ! Les schupos (policiers) se précipitent vers l'imposant édifice avec les pompiers. Il est un peu plus de 20 heures, ce 27 février 1933. La salle des séances est au coeur du brasier, on détecte aussitôt plusieurs départs de feu, l'incendie n'a rien d'accidentel. Le tout nouveau chancelier Hitler, établi dans ses fonctions le 30 janvier, se rend sur les lieux. Auprès de lui, Goebels, chargé de la propagande, et Hermann Goering, ministre de l'Intérieur de Prusse et président du Reichstag. Pour les trois hommes, cet attentat est inespéré. Le führer n'est parvenu à la chancellerie qu'au terme d'intrigues ministérielles, d'alliances de circonstances, de négociations sinueuses. Son pouvoir reste fragile, il dépend du bon vouloir du parti Deutschnational, il est à la merci d'un coup de force ou d'une percée électorale des partis de gauche. Hitler et les nazis doivent gagner les législatives du 5 mars. Question de survie.
Dès le lendemain de l'incendie du Reichstag, la police de Goering exhibe son coupable, Marinus Van der Lubbe, vingt-quatre ans, maçon de son état, hollandais et anarcho-communiste. Il a été trouvé dans les couloirs du parlement, suffocant à moitié, sauvé de justesse des flammes qu'il avait lui même allumées. Interrogé par le commissaire Walter Zirpins, il a reconnu les faits, mais nie avoir agi sur ordre des communistes. Qu'importe ! Le complot est avéré ; dans les heures qui suivent, on traque complices et commanditaires. Responsable du groupe communiste au Reichstag, Ernst Torgler est arrêté, ainsi que trois communistes bulgares dont un responsable du Komintern (la IIIe Internationale), Gueorgui Dimitrov. Hitler arrache au vieux président Hindenburg un décret d'urgence abolissant la garantie des libertés civiques et individuelles, des rafles s'opèrent dans les rangs des opposants au parti nazi, la presse socialo-communiste est interdite. Et le 5 mars 1933, les nationaux-socialistes alliés au Deutschnational remportent 51,8% des suffrages. La démocratie allemande à vécu.
Quant au procès des auteurs de l'incendie du Reichstag, commencé le 21 septembre, à Leipzig, il ne laisse pas de surprendre. Marinus Van der Lubbe, prostré, se conduit en automate capable seulement de répondre coupable. Condamné à mort le 23 décembre 1933, il est décapité le 10 janvier suivant. Mais, bizarrement, les quatre autres inculpés, accusés avec Van der Lubbe d'avoir voulu déclencher une “insurrection communiste”, obtiennent la relaxe. Il y aurait donc encore en Allemagne une justice impartiale ! Ou s'agit-il d'une manoeuvre de propagande orchestrée par Goebbels à l'intention de l'opinion internationale ? Ou encore d'autre chose, plus complexe ? Le 15 février 1934, Gueorgui Dimitrov et ses deux camarades adoptent la nationalité soviétique. Le 27, ils arrivent à Moscou, porteurs – on l'apprendra beaucoup plus tard – d'un message de Rudolph Diels, le chef de la Gestapo : “Nous voulons avoir de bonnes relations avec l'Union soviétique.” Tout cela est déroutant. Beaucoup de gens, toutefois, restent persuadés que Marinus Van der Lubbe, qui a quitté le parti communiste hollandais en 1931, n'est qu'un bouc émissaire, un pauvre chiffon rouge agité par les nazis au bon moment. D'ailleurs, en 1938, un directeur de prison du nom de Brucks écrit au procureur du Reich qu'il a obtenu, à l'époque du procès, les aveux d'un membre des SA (Section d'assaut) hitlériennes, un certain Rail, attestant que l'incendie du Reichstag est l'oeuvre de la Section 17 des SA. Mais Rail est assassiné, son dossier a disparu de la prison et Brucks meurt de façon inexpliquée.
Au début des années 1950, on essaie toujours en vain de prouver l'innocence de Van der Lubbe et la culpabilité des nazis dans l'incendie du Reichstag. Tous les documents du procès semblent avoir été égarés. Au même moment, une ancienne dirigeante des partis communistes autrichien puis allemand, Ruth Fischer, affirme que les trois Bulgares, Dimitrov en tête, ont été acquittés à la suite de collusions secrètes entre nazis et Soviétiques. Cependant, le témoignage de Ruth sera écarté jusqu'à la parution, en 1997, du Journal de... Gueorgui Dimitrov, Premier ministre bulgare de 1946 à 1949. Collusion, donc, mais cela n'éclaire pas le rôle exact joué par Marinus Van der Lubbe. En 1959, coup de théâtre, le magazine ouest-allemand Der Spiegel publie plusieurs articles où il est révélé que Van der Lubbe est le seul coupable de l'incendie du Reichstag. Nazis et communistes sont innocentés sous la plume de l'historien allemand Fritz Tobias et suivant les allégations du commissaire Walter Zirpins, qui avait procédé à l'interrogatoire du suspect. Hauptsturmführer (capitaine SS) à titre honoraire pendant la guerre, Zirpins poursuit ensuite paisiblement sa carrière et devient directeur de la police de Hanovre. À l'appui de son témoignage, Der Spiegel propage la thèse selon laquelle Hitler n'a fait qu'exploiter un incendie providentiel. Et les tenants d'autres thèses sont systématiquement accusés d'utiliser des documents falsifiés. Jusqu'en 1993. Onze ans plus tôt, déjà, toutes les pièces relatives à l'affaire, saisies en 1945 par les Soviétiques, avaient été restituées aux archives du parti communiste est-allemand sous l'appellation de “Fonds n. 551”. Après la chute du mur de Berlin, elles sont transférées aux archives fédérales de Postdam, reconnues authentiques et enfin ouvertes aux historiens.
Dès lors, le “Fonds n. 551” livre la plupart des rouages de la machination. Marinus Van der Lubbe était un coupable parfait. Il fréquentait une organisation de gauche berlinoise et indépendante de Moscou : il s'agit de ménager un allié potentiel. Cette organisation (l'AAU) était infiltrée par des agents nazis, dont Wilfried Van Oven, futur attaché de presse de Goebbels puis, après guerre, correspondant de... Der Spiegel en Argentine. Marinus a vraisemblablement été introduit dans le Reichstag contre son gré, par le portail 2, et empêché d'en ressortir. Les véritables incendiaires, venus par le même chemin, se composaient de nazis, mais aussi de certains de leurs alliés proches du parti Deutschnational de Hindenburg et du Stalhelm (les Casques d'acier, association d'anciens combattants). Officiellement, Goebbels a été prévenu de l'incendie du Reichstag par un appel téléphonique du chef de la presse étrangère, le nazi Ernst Hanfstaengl, censé loger dans le palais du Reichstag. En réalité, le portier du Reichstag, Paul Adermann, a déclaré à la police que Hanfstaengl n'avait jamais logé au palais et que, de toute façon, il ne se trouvait pas au parlement ce soir là. Alors, qui a prévenu Goebbels sinon les incendiaires ? Adermann n'a pas été cité à comparaître par les juges de Leipzig. Les arrestations d'opposants effectuées, selon Zirpins dans Der Spiegel, “en réaction” à l'incendie du Reichstag ont été programmées plusieurs heures avant les faits. Le “Fonds n. 551” indique aussi que deux autres personnes ont été arrêtées en même temps que Van der Lubbe, alors qu'elles s'enfuyaient du Reichstag. Wilhelm Heise, militant nazi notoire, et le docteur Albrecht, député national socialiste, furent rapidement relâchés.
On a fourni un communiste au bourreau, mais un communiste qui n'avait aucun lien avec Moscou. Et on a renvoyé à Moscou, sains et saufs, de hauts responsables du Komintern. Le premier pas vers le pacte germano-soviétique s'est effectué le 27 février 1933. Reste que certaines pages du “Fonds n. 551” sont manquantes. Reste que le magazine Der Spiegel n'est jamais revenu sur son affirmation de la culpabilité de Marinus Van der Lubbe dans l'incendie du Reichstag. Il y a des vérités qui continuent de déranger. Longtemps.
