Prieuré de Sion
De La Poudre Aux Yeux ?

Le minuscule village perché de Rennes-le-Château, dans le Languedoc, est le lieu improbable pour de nombreux mystères et thèses de complot. Sans la foule de touristes attirés par l'endroit par le récit de ces mystères, et de récentes élaborations à leur sujet, le village serait sans aucun doute resté dans l'obscurité rurale dont il a joui une grande partie de son histoire. La source originelle de tout ce remue-ménage remonte à la fin du XIXe siècle. Les gens commencent à se poser des questions sur le prêtre catholique du village, Bérenger Saunière, et en particulier, sur la manière dont il a pu payer les travaux de rénovation de son église ainsi que d'autres travaux de construction qu'il a entrepris dans le village, compte tenu du modeste salaire commandé par sa position.
D'anciens parchemins
Mis à part quelques potins locaux, beaucoup pensent qu'il ne s'agit pas là d'un fait bien important. En réalité, c'est dans les années 1950 et 1960 que tout commence vraiment. Pierre Plantard, un dessinateur parisien, tombe sur cette vieille histoire de la prétendue richesse de Bérenger Saunière, comme le lui raconte Noël Corbu, un hôtelier de Rennes-le-Château qui a hérité de la succession du prêtre. Apparemment insatisfait par l'histoire telle qu'elle est, il décide de la rendre plus intéressante. Selon sa nouvelle version des événements, Saunière aurait trouvé d'anciens parchemins dans un pilier creux de son église, qui l'auraient mené à un trésor secret, à l'origine de sa supposée grande richesse, lançant ainsi une histoire qui est toujours d'actualité.
Une société secrète
Les parchemins, selon Plantard, font aussi référence à une société secrète, le Prieuré de Sion, qui était consacrée au maintien de la lignée des rois francs mérovingiens du Ve au VIIe siècle. Les trois auteurs de L'énigme sacrée, Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, reprennent le fil de cette histoire et la tricotent avec d'autres mystères afin de parvenir à une thèse toute-puissante qui, au moins selon les auteurs, ébranlerait les fondements de la foi chrétienne. Il me faudrait une journée complète si je devais passer en revue les méandres de cette thèse dans son intégralité, mais en un mot, il explique que les membres du Prieuré de Sion sont les gardiens du secret de la lignée ancestrale de Jésus-Christ et que, contrairement à ce qui est écrit dans la Bible, il a épousé Marie-Madeleine avec qui il a eu des enfants. Après la crucifixion, Marie-Madeleine aurait emmené sa famille en France, où environ 400 ans plus tard, leurs descendants allaient engendrer la dynastie mérovingienne.
Après l'assassinat du roi mérovingien Dagobert II en 679, son fils (du moins selon cette thèse) est conduit en secret à Rennes-le-Château, perpétuant ainsi la descendance de Jésus en donnant naissance à la dynastie de la Maison de Lorraine. Au cours de la première croisade (1096-1099), Godefroy de Bouillon, de la Maison de Lorraine, devient roi de Jérusalem et fonde un prieuré sur le mont Sion. Le secret de la lignée est transmis de génération en génération par les membres du prieuré, sous la direction d'un grand maître, jusqu'à ce qu'elle atteigne Pierre Plantard. Les documents originaux trouvés par Saunière, maintenant appelés Les dossiers Secrets, réapparaissent à la Bibliothèque nationale à Paris et comprennent une liste des anciens grands maîtres, une sorte de Who's who? des puissants à travers les âges, y compris des génies tels que Léonard de Vinci, Isaac Newton et Victor Hugo. Pour finir, le faux document révèle que Plantard est le descendant direct de Dagobert II, ce qui fait de lui l'héritier de la lignée de Jésus.
De la poudre aux yeux
Le fait que Plantard, la première personne à avoir diffusé cette histoire, est celui qui a tout à gagner en la racontant, aurait dû rendre les gens assez sceptiques sur l'épisode complet, et ce dès le début. En France du moins, c'est exactement ce qui s'est passé. Plusieurs écrivains et journalistes français ont effectué quelques recherches et ont rapidement montré qu'il s'agissait d'un canular énorme, concocté par Plantard et deux de ses compagnons. Le pilier creux de l'église de Saunière s'est avéré être solide, les documents étaient des faux récents, et le prêtre accusé d'avoir fait fortune, faisait du trafic de messes – une pratique qui aurait causé le déplaisir de l'Église qui l'aurait privé en 1910 de ses fonctions sacerdotales à Rennes-le-Château. Le Prieuré de Sion, le principe central de toute la thèse, voit le jour en 1956, fondé par Pierre Plantard lui-même. Tout ce qui émane de lui, de la lignée du Christ à l'implication de Léonard de Vinci, est de la poudre aux yeux. Pour être juste envers Plantard, il n'a jamais réellement affirmé être apparenté à Jésus, et l'a nié lors de la publication de L'énigme sacrée, mais il a truffé son canular de nombreux indices – afin qu'ils pointent vers la conclusion. On ne peut pas non plus le décharger de toutes fautes.
Au moment où L'énigme sacrée est publiée en 1982, tous les détails de la supercherie sont révélés en France. Néanmoins, les auteurs restent sur leurs conclusions et le livre devient un best-seller. Cet épisode aurait pu tomber aux oubliettes, si le roman de Dan Brown en 2003, Da Vinci Code, dans lequel un universitaire américain découvre le secret du Prieuré de Sion, ne s'était pas vendu à plus de 40 millions d'exemplaires à travers le monde et n'avait pas donné naissance à un film avec Tom Hanks.
Dan Brown accusé de plagiat
Quelques mois avant la sortie du film, Michael Baigent et Richard Leigh portent plainte contre Dan Brown, l'accusant de plagiat. Henry Lincoln, qui a depuis longtemps reconnu avoir été dupé par le canular de Plantard, ne participe pas au procès. Désireux de soutenir la validité de leur thèse, Baigent et Leigh causeront leur propre chute. Si les informations présentées dans L'énigme sacrée sont vraies, s'il s'agit de faits historiques, rien ne peut alors empêcher qui que ce soit d'écrire un roman basé sur la même matière dans la mesure où l'auteur ne cite pas directement de grandes parties de l'ouvrage original. Il n'est pas surprenant que Dan Brown ait remporté le procès. Dans toute l'histoire, le livre et le film Da Vinci Code ont tous les deux bénéficié d'une énorme publicité grâce au procès dont on a parlé dans le monde entier. Les images télévisées ont montré Dan Brown et sa femme – qui a fait la plupart des recherches pour le roman – tout sourire à la sortie du tribunal, le juge ayant tranché en leur faveur. Non seulement ils ont obtenu gain de cause, mais les ventes de Da Vinci Code ont explosé. Qui pourrait les blâmer de rire sur le chemin de la banque ?
