L'Affaire Rudolf Hess
Le Mystère Plane Toujours

Peu après 23 heures, dans la nuit du 10 mai 1941, Rudolf Hess, adjoint du Führer de l'Allemagne nazie et ami intime d'Adolf Hitler, saute en parachute d'un avion qu'il pilote lui-même au-dessus de l'Écosse. Il atterrit dans un champ à environ 15 km au sud de Glasgow et est récupéré par David McLean, un agriculteur local, qui l'emmène dans sa maison et lui offre une tasse de thé. Rudolf Hess dit à McLean qu'il est le capitaine Alfred Horn et qu'il est porteur d'un message important pour le duc d'Hamilton, l'un des membres les plus éminents de l'aristocratie en Écosse. McLean téléphone à la Home Guard, qui prend Hess sous sa garde et le remet à l'armée britannique. Rudolf Hess, qui prétend toujours être Alfred Horn, dit qu'il ne parlera qu'au duc. Ce dernier, lorsqu'il apprend cet événement étrange, rend visite au prisonnier. Lors de la rencontre qui suit, Rudolf Hess révèle sa véritable identité au duc, qui envoie tout de suite après, un rapport de la conversation directement à Winston Churchill.
Il s'agit de l'un des événements les plus étranges de la Seconde Guerre mondiale. Il a conduit à des spéculations sans fin sur les raisons pour lesquelles Hess a agi ainsi, et l'on a notamment émis des doutes sur son état mental à l'époque. L'obsession du gouvernement britannique à vouloir garder le secret sur cette affaire – certains dossiers qui la concernent sont toujours classés plus de 70 ans plus tard – nous prive de nombreux éléments pour comprendre ce qui s'est passé. Comme l'on pouvait s'y attendre, ces lacunes ont été comblées par un large éventail de théories qui tiennent plus ou moins la route et concernant, en autres, le rôle joué par le gouvernement et ses services de renseignement pour attirer Rudolf Hess en Grande-Bretagne sous de faux prétextes. L'objectif d'une telle action semblait être soit la capture de Hess, soit, au contraire, l'ouverture d'un processus d'une complexité ahurissante qui allait assurer l'Allemagne d'attaquer l'Union soviétique, ce qui aurait un peu réduit la pression sur la Grande-Bretagne, qui était seule à se battre contre l'Allemagne nazie après la défaite de la France.
Selon une autre théorie, l'affaire faisait partie d'un complot plus vaste visant à éliminer Churchill du pouvoir en Grande-Bretagne, permettant ainsi d'installer un gouvernement plus favorable à l'Allemagne. Dans ce scénario, Rudolf Hess serait venu en Grande-Bretagne afin de prendre contact avec un prétendu “parti de la paix”, composé d'anciens conciliateurs tels que Lord Halifax, de concert avec les membres de l'aristocratie qui avaient montré de la sympathie envers l'Allemagne nazie avant guerre. L'un d'eux est le duc d'Hamilton, l'homme que Rudolf Hess a voulu rencontrer, du moins selon cette théorie, afin d'offrir le soutien et la coopération de l'Allemagne dans la formulation de ce qui serait, en fait, un coup d'État contre Churchill. Et puis il y a une autre théorie, qui affirme que l'homme qui débarque en Écosse n'est pas du tout Rudolf Hess, mais un imposteur jouant le rôle de Hess, et qui continue de le prétendre, même après avoir été condamné à perpétuité en 1946 lors du procès de Nuremberg et qui a emporté son secret dans la tombe après sa mort en 1993 à la prison de Spandau à Berlin.
Inutile de dire que la plupart de ces théories du complot doivent plus à l'imagination de leurs auteurs que pour les faits tels que nous les connaissons, même s'il est actuellement impossible de dire avec certitude ce qui s'est réellement passé. Un raisonnement qui relie les services secrets britanniques à cette affaire, affirme que la Royal Air Force (RAF) a permis à Rudolf Hess de venir par avion en Grande-Bretagne parce qu'on lui a ordonné de ne pas arrêter son avion. L'examen de la réponse du Fighter Command en Écosse ce soir-là ne va pas dans le sens de cette théorie. La RAF a peut-être été surprise par l'arrivée d'un seul avion allemand dans le pays, mais une fois qu'il a été détecté, plusieurs escadrons de Spitfires ont décollé d'urgence pour l'intercepter. Seules les compétences de Rudolf Hess en tant que pilote l'ont empêché d'être abattu – il a été repéré à partir du sol en train de survoler la côte à pas plus de 15 m d'altitude et a ensuite continué à travers l'Écosse à basse altitude pour éviter d'être vu par la RAF.
Si cela avait été un complot britannique, on pourrait penser que ce genre de plan aurait été mis en place pour traiter avec lui une fois qu'il aurait été pris. Lorsqu'il l'a été, son arrivée a été accueillie avec étonnement et la réponse a été, au mieux, confuse, ce qui suggère que les Britanniques n'étaient pas au courant. Il est possible que les services secrets britanniques étaient impliqués, en ayant fait croire aux Allemands que le “parti de la paix” britannique avait travaillé activement pour mettre fin à la participation de leur pays dans la guerre. C'était certainement ce que Hitler voulait croire, un accord avec la Grande-Bretagne aurait laissé l'Allemagne nazie libre de poursuivre ses objectifs d'expansion en Europe de l'Est et en Russie. Mais à part un petit nombre de sympathisants nazis et de fascistes britanniques, il n'existe aucune preuve d'un tel mouvement en Grande-Bretagne. Et il est facile de montrer que l'idée selon laquelle l'homme capturé en Écosse était un imposteur n'est que pur fantasme – un fonctionnaire du Foreign Office à Berlin avant la guerre, a confirmé son identité peu de temps après son arrivée. Ainsi, les théories du complot facilement balayées, on se retrouve avec une question un peu plus difficile: que s'est-il vraiment passé ?
Les théories du complot se concentrent toutes sur le rôle des Britanniques dans cette affaire. Si l'accent est mis sur ce que Hess a fait en Allemagne juste avant son départ pour la Grande-Bretagne, il en ressort une image assez différente. Hess et Hitler connaissaient tous les deux très bien le travail géopolitique du professeur Karl Haushofer, et dans Mein Kampf, Hitler avait adapté les idées du professeur au concept de Lebensraum, littéralement “l'espace vital”, qui soulignait la nécessité d'une expansion allemande à l'est pour croître et prospérer. Selon Hitler, la grande erreur que l'Allemagne a commise durant la Première Guerre mondiale est d'avoir combattu sur deux fronts. Dans une tentative de ne pas faire la même erreur lui-même, il a activement étudié la possibilité d'un accord avec la Grande-Bretagne.
Si la bataille d'Angleterre avait été remportée par la Luftwaffe, la Grande-Bretagne aurait soit dû venir à la table des négociations, soit être envahie et perdre la guerre. Heureusement, la RAF réussit à repousser l'attaque allemande, obligeant Hitler à repenser sa stratégie. Celui-ci est bien conscient qu'aussi longtemps que Churchill resterait Premier ministre, il n'y aurait aucune chance de transaction. Il semble avoir demandé à Rudolf Hess de trouver un moyen de surmonter cette impasse. Rudolf Hess se trouve alors vers Albrecht, le fils du professeur Haushofer, qui a suivi son père dans le même champ d'études. Malgré le fait qu'Albrecht ait affirmé que personne en Grande-Bretagne, quelle que soit sa tendance politique, ne pourrait envisager un pacte avec Adolf Hitler, ils élaborent un plan.
Albrecht Haushofer rencontre le duc de Hamilton en 1936, lorsque le duc se rend à Berlin pour les Jeux Olympiques. Selon certaines indications, le duc a peut-être été présenté à Rudolf Hess au même moment. Le plan conçu par Hess et Haushofer implique de contacter le duc afin de mettre en place une réunion dans un pays neutre, le plus probablement au Portugal, pour discuter d'un plan de paix. Ce doit être fait par le biais d'un intermédiaire en Grande-Bretagne qui, comme par hasard, vient d'écrire au professeur Haushofer. Il s'agit de Mrs. Violet Roberts, la veuve d'un universitaire de Cambridge, qui a connu le professeur avant la guerre. Elle lui a apparemment écrit pour lui exprimer son regret que la guerre ait lieu entre leurs deux pays et pour leur suggérer de communiquer via une boîte postale qu'elle a ouverte à Lisbonne. Tout le monde se demande ce qu'une veuve de Cambridge a à se comporter de cette manière en plein milieu d'une guerre ; bien qu'il n'existe aucune preuve, il est possible que les renseignements britanniques aient été impliqués.
Quelle que soit la vérité sur cette affaire, Albrecht Haushofer répond à Mrs. Roberts en novembre 1940, en signant sa lettre uniquement d'un “A” et lui demandant de transmettre un message au duc de Hamilton. Si les services secrets britanniques n'étaient pas impliqués avant, ils le sont certainement désormais, parce que le MI5 intercepte cette lettre. Nous ne savons pas exactement ce qu'ils en ont fait, bien que l'on puisse supposer à raison que l'on ait enquêté sur Mrs. Roberts et le duc. On ne sait rien de plus sur Mrs. Roberts et l'on peut seulement supposer que le duc, un officier en service dans la RAF, a été jugé tout à fait innocent. En fin de compte, il semble que le MI5 ait décidé de ne rien faire.
Le message n'a pas été remis au duc et la lettre est restée sans réponse. Rudolf Hess ne parvient pas à établir un contact avec quelqu'un qu'il croit impliqué dans un parti britannique de la paix. Comme toute chance de mettre en place une réunion au Portugal a disparu, Rudolf Hess semble avoir commencé à envisager d'autres moyens d'entrer en contact avec le duc, et notamment en prenant les choses en mains et en se rendant lui-même en Écosse. Il n'est pas certain que Hitler ait été au courant de tout cela – il avait à l'époque personnellement interdit à Rudolf Hess de prendre l'avion. Il est donc possible que Hess lui ait proposé l'idée et qu'il l'ait refusée. Si c'est le cas, alors Rudolf Hess a désobéi à Hitler et est parti de sa propre initiative. Ayant appris que Hess s'était rendu en Grande-Bretagne, Hitler aurait éclaté dans une violente colère, ordonnant d'arrêter tous ceux qui avaient contribué à aider Rudolf Hess, y compris Albrecht Haushofer, et de fusiller Rudolf Hess pour avoir trahi son pays, s'il devait rentrer en Allemagne.
L'image qui se dégage d'Allemagne est celle d'un Rudolf Hess de plus en plus désespéré, doutant de la réussite de la mission qui lui a été donnée par Adolf Hitler. Au cours de l'année 1940 et en 1941, Rudolf Hess a été peu à peu mis à l'écart au sein du parti nazi par des hommes politiques plus habiles – en particulier, par Martin Bormann. Ce dont Hess a besoin, c'est d'un succès spectaculaire qui permettrait de rétablir sa réputation aux yeux d'Hitler. Ainsi, plutôt que d'être une conspiration élaborée, l'affaire est peut-être davantage le plan farfelu d'un homme qui s'est lui-même convaincu de pouvoir résoudre le conflit entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne à lui tout seul. Il est difficile de dire ce que Rudolf Hess avait imaginé pouvoir faire ; il semble avoir accordé peu d'attention à la manière dont il serait reçu en Grande-Bretagne. En vérité, essayer de trouver une explication rationnelle au comportement d'un homme irrationnel, est toujours un exercice inutile. Cela dit, si tous les dossiers relatifs à l'affaire sont un jour ouverts, l'information pourrait être enfin dévoilée, permettant de résoudre l'énigme une fois pour toutes. Peut-être est-ce un voeu pieux que les archives du gouvernement britannique concernant la libération de matériel classé soient ouvertes. Il semble que le mystère de l'affaire Rudolf Hess durera longtemps encore.
