Le Voyage de Saint Brendan Vers Le Paradis Terrestre d'Amérique
La Recherche Des Îles Fortunées

Personnage longtemps considéré à tort comme légendaire, le moine Saint Brendan, à défaut d’être un saint officiel, est un des grands voyageurs de l’époque celte. Durant des siècles, les récits apocryphes de ses voyages ont passionnée les lecteurs médiévaux, convaincus que Saint Brendan avait découvert les Îles Fortunées, autrement dit le Paradis terrestre.
Les moines irlandais navigateurs à la recherche du Paradis terrestre : les Îles Fortunées
Aux Ve et VIe siècles, les moines celtes, dont la tradition catholique d’origine orientale s’oppose quelque peu à celle que Rome tente d’imposer en Europe continentale, se tournent vers la mer. C’est vers l’ouest qu’ils s’emploient à convertir les païens, ce qui explique l’importance qu’ils attachent à reconnaître les îles de l’Atlantique. Par ailleurs, il leur est recommandé, au cas où ils pourraient effectuer au moins une fois le voyage jusqu’à Jérusalem, de s’exiler seuls ou en petits groupes sur une terre désolée pour y faire pénitence et y édifier, éventuellement, un monastère.
Ainsi, des moines s’établissent en Islande dès la fin du Ve siècle. Mais nombre d’entre eux ne peuvent plus s’intégrer à la vie commune et passent leur temps à naviguer d’île en île. Leur errance s’explique par un espoir fou : découvrir le Paradis terrestre, qu’une tradition situe, avec une étrange certitude, de l’autre côté de l’Atlantique.
Premier voyage de Saint Brendan
Vers 506, Saint Brendan, un homme libre né vers 484 en Irlande et ordonné prêtre aux alentours de 504, vit au pays de Galles. Une quinzaine d’années plus tard, il accomplit son premier grand voyage, allant avec un équipage jusqu’en Islande, à bord d’un léger esquif. Au cours du voyage qui le mène dans cette île, considérée alors comme l’antichambre du Paradis – une sorte de “purgatoire” moderne – , il aperçoit pour la première fois la couche glacée qui recouvre l’océan polaire et les icebergs.
Vers 527, cette fois en compagnie de deux autres bateaux, il se rend, semble-t-il, une première fois jusqu’aux Canaries, puis met le cap vers le large. Jusqu’où le mène exactement cette navigation? On ne saurait le dire, les différentes sources tendant à mélanger les péripéties de ce voyage-ci et celles de l’expédition suivante, beaucoup plus considérable. Il apparaît cependant que, après avoir progressé péniblement, les bateaux doivent affronter une tempête terrible qui coule deux d’entre eux. Lorsque revient le calme, Saint Brendan et les survivants aperçoivent des débris végétaux flottant sur l’eau, preuve probable qu’une terre occidentale est toute proche. Mais les marins, trop éprouvés, décident de rebrousser chemin : finalement, le voyage n’aboutit pas.
On a marché sur le Paradis terrestre !

Une quinzaine d’années plus tard, en 544-545 sans doute (Saint Brendan a alors presque 60 ans et séjourne en Bretagne), le moine irlandais repart en expédition. Il embarque cette fois sur un solide navire en bois, et, après une nouvelle escale aux Canaries, se lance de nouveau à l’assaut de l’Atlantique.
Derechef, les textes font état des difficultés d’une longue traversée en haute mer et mentionnent une tempête. Puis les navigateurs découvrent sur l’eau des feuilles de palmiers et d’étranges coques flottantes couvertes de fibres – certainement des noix de coco.
Ce détail est très important, car les textes qui le citent datent d’une époque où ces fruits ne sont pas encore connus en Europe. Quelques jours plus tard, le bateau arrive enfin en vue d’une grande île tropicale. La description de cette île et celle du courant marin qui la contourne avant de partir vers l’est laissent à penser qu’il pourrait peut-être s’agir de Cuba. Saint Brendan y aborde, y séjourne un temps indéterminé, puis s’en retourne en Bretagne, qu’il atteint deux années après son départ.
Les diverses versions du voyage de Saint Brendan, qui s’échelonnent entre le IXe siècle et le XIVe siècle, affirment, quant à eux, qu’il a foulé le sol du Paradis terrestre.
Saint Brendan, une figure historique ?
S’il n’y a nulle raison de douter de l’existence de Saint Brendan, moine-navigateur dans la première moitié du VIe siècle, rien n’indique, en revanche, que tous les exploits que les manuscrits lui attribuent lui reviennent spécifiquement. En effet, il se peut que la célébrité médiévale du moine irlandais et de ses Îles Fortunées lui ait fait endosser la paternité de voyages, ou d’épisodes de voyages, dont la gloire serait plus justement endossée par d’autres navigateurs celtes demeurés anonymes.
On sait avec quelle prudence il faut lire les textes hagiographiques. Mais la véracité et le détail de nombre de descriptions (les icebergs et les noix de coco, par exemple) montrent à l’évidence qu’elles ont été faites à partir de témoignages réels.
Par ailleurs, de multiples indices suggèrent que l’Atlantique était fréquenté bien plus qu’on ne le croit depuis l’Antiquité. Le voyage de Saint Brendan jusqu’aux îles américaines est donc moins improbable qu’il ne paraît et celui-ci ou quelque autre marin celte peut très légitimement être considéré comme un précurseur du grand Christophe Colomb.
