Saqqarah
Et Le Mystérieux Livre Des Morts

C’est à Saqqarah, près de Memphis, que fut érigée la première pyramide d'Égypte. L'architecte Imhotep, qui fut par la suite divinisé, bâtit cette pyramide pour le pharaon Djéser. En réalité, le pharaon fit construire à l'origine un mastaba carré, dont la forme rappelle une pyramide basse tronquée, et il décida ensuite de l'agrandir, en y faisant superposer un autre mastaba plus petit, jusqu'à ce que la structure prenne la forme de l'édifice actuel, formé de six gradins et atteignant une hauteur de 60 mètres. Le mastaba (mot arabe indiquant un siège en pierre en forme de parallélépipède) est le modèle primitif de tombeau, typique de cette région de l'Égypte. La structure, qui rappelle celle d'une habitation, est liée à la croyance d'une destinée de l'âme dans l'au-delà, et représente un lien symbolique entre la vie et la mort. À l'extérieur, elle est formée d'un ensemble massif de pierres formant une pyramide basse tronquée, tandis qu'à l'intérieur se cache un puits contenant le sarcophage avec le mobilier funéraire. À l'est se situe la chapelle qui abrite l'autel pour les offrandes. Au fond de l'autel se trouvait généralement une stèle, sorte de porte en trompe-l'oeil, qui ne permettait pas l'accès au puits qui conduisait au tombeau proprement dit. Le puits était fermé par des pierres et l'accès était situé en haut. L'absence de documents écrits rend difficile une connaissance précise du site de Saqqarah, qui reste toutefois l'un des témoignages les plus anciens et imposants de la culture archaïque du peuple du Nil.

En observant le projet complexe de la pyramide de Saqqarah, on mesure le génie d'Imhotep, sorte de Léonard de l'Antiquité, comme nous apprend l'inscription gravée sur la base de la statue du pharaon, où sont indiqués tous ses titres : Administrateur du Grand Palais, Grand Prêtre d'Héliopole, Constructeur, Sculpteur et Créateur de vases en pierre. C'est peut-être en raison de cette dernière activité d'Imhotep que plus de 40 000 vases et récipients de toutes formes et dimensions ont été trouvés dans la grande pyramide à degrés. Dans ce tombeau singulier, constitué d'environ 200 000 tonnes de pierre, les archéologues ont trouvé la statue du pharaon, ainsi que des inscriptions et des offrandes dans la chambre funéraire : un ensemble important de témoignages qui n'a pas été retrouvé dans les trois pyramides de Gizeh.
Le voyage dans l'au-delà

La pyramide de Saqqarah est entourée des ruines d'un ensemble splendide d'édifices, réalisés également par Imhotep. Pendant une longue partie de l'histoire égyptienne, ce site fut un lieu de sépulture. Cette région est donc l'une des plus intéressantes pour connaître la genèse des pratiques funéraires dans la phase la plus ancienne de l'histoire du peuple du Nil. Des embarcations, enfermées dans des chambres en briques, ont été retrouvées dans des tombeaux remontant à la Ire dynastie. C'est dans ces embarcations que le défunt accomplissait, selon la croyance, le “voyage dans l'au-delà”. On retrouve des témoignages et des représentations de ce voyage dans les Textes des pyramides à partir de la Ve dynastie. En revanche, près de la pyramide de Khéops, on a retrouvé une barque mesurant plus de 40 mètres de long, 5 mètres de large et 9 mètres de haut. L'embarcation, démontée, était située dans un lieu où le pharaon aurait pu la remonter avec l'aide de la magie et la collaboration de son armée personnelle, formée de centaines de shauabti.
L'embarcation était conduite par “l'homme au visage tourné en arrière”, une sorte de Caron qui avait pour tâche d'accompagner le pharaon dans l'au-delà, à travers le “marais des roseaux” qui séparait le monde des vivants de celui des morts. Dans les Textes des pyramides, on rencontre aussi le symbole de l'échelle, comme moyen pour atteindre le règne des morts : c'est peut-être sur cette symbolique que repose la tradition de réaliser les premières pyramides avec d'énormes gradins sur les côtés. Le Livre des morts célèbre ainsi le symbole de l'échelle : “Hommage à toi, Ô Échelle qui soutiens le vase en or des esprits (...). Je dresse une Échelle parmi les dieux et je suis un être divin parmi eux (...). Reste dressée, ô Échelle d'Horus, par laquelle Osiris est monté au ciel lorsqu'il a usé de son pouvoir magique sur Râ”.
Le mystérieux Livre des morts
Une source importante, pour mieux comprendre la conception de la vie après la mort et la spiritualité des anciens Égyptiens, est le Livre des morts. En réalité, il ne s'agit pas exactement d'un livre, mais d'une série de textes transcrits sur papyrus, qui étaient placés dans le cercueil du défunt. Dénommé également Livre pour sortir au jour, ce recueil de textes funéraires développe et remanie les Textes des pyramides, premiers textes connus sur le voyage des morts, qui remontent à l'époque du Moyen Empire.
Le Livre des morts nous apprend qu'après la mort, chaque homme montait au ciel pour s'unir au dieu du Soleil. Mais les mystères de la mort n'étaient accessibles à l'homme qu'après avoir été soumis au “jugement des morts”. Ce jugement servait à déterminer si, durant sa vie, le défunt avait respecté les règles universelles imposées aux humains. À l'origine, le juge était Rê, le dieu du Soleil, mais, à partir de la XIe dynastie, ce rôle fut attribué à Osiris. Lors du jugement, Osiris était accompagné de quarante-deux juges qui symbolisaient les provinces égyptiennes. D'après les indications du livre, en se présentant devant les dieux pour être jugé, le défunt devait clamer son innocence et montrer qu'il n'avait commis aucun des péchés mentionnés dans le livre. Le rite du jugement comprenait également la pesée du coeur du défunt, qui était effectuée en posant d'un côté de la balance l'organe et de l'autre la plume d'autruche de Maât, déesse de la vérité et de la justice. Le dieu Thôt notait le résultat de la pesée et, si le poids dépassait celui de la plume de Maât, le pécheur subissait un sort tragique : il était dévoré par un monstre terrible (identifié, dans certains cas, à Anubis, le dieu chacal). Si, en revanche, il était jugé pur, il accédait au règne d'Osiris, un lieu de lumière, continuation céleste de la vie terrestre.
Le Livre des morts était généralement placé dans un coffret décoré avec l'effigie d'Osiris, ou dans le cercueil, ou encore dans les bandelettes de la momie. De nombreux textes ont été retrouvés écrits en hiéroglyphes, en écriture démotique ou hiératique. Il s'agit surtout de recueils d'invocations et d'incantations magiques, accompagnées d'illustrations, dont la lecture était censée favoriser le voyage dans l'au-delà. Le texte était lu par un prêtre selon un rite bien précis. Ce rite avait pour fonction de permettre au défunt de voyager “librement” dans le règne des morts, et de l'aider à se procurer tout ce dont il aurait besoin dans sa demeure éternelle.
Une religion non fondée sur un livre
Contrairement à ce que l'on peut croire, ces recueils de textes n'étaient pas pour les Égyptiens un livre sacré, comme la Bible, le Coran ou les Véda. Le seul point commun qu'ils possèdent avec les livres sacrés est leur inspiration divine. Le Livre des morts est introduit par un chapitre sur les “Formules à prononcer le jour des funérailles, en arrivant au tombeau et avant de partir”. Il comprend des pratiques et des instructions constituant un important témoignage de l'univers, surtout mythique plus que religieux, des Égyptiens. En voici quelques fragments : “Mon arrivée parmi ceux qui habitent l'horizon est saluée par des cris de jubilation, et ceux qui habitent la Duat dans cette forme de momie chantent mes louanges (...). Je m'élève comme un dieu vénérable, Seigneur de la Grande Demeure, à la vue duquel les dieux se réjouissent (...). Ô père ! Ô frère ! Ô mère Isis ! Je suis enveloppé dans les bandelettes et je vois. J'ai rejoint ceux qui se sont débarrassés des bandelettes et qui voient Osiris”.
