Mona Lisa
Qui Est Cette Femme Au Sourire Enigmatique ?

Léonard de Vinci (1452-1519) n'a pas facilité la vie des historiens de l'art. Non seulement il ne signait pas tous ses tableaux, ce qui rend l'authentification de ses oeuvres difficile, mais, dans le cas de La Joconde, on ne retrouve aucune référence au tableau, aucune trace de commande ni de paiement. Aucune référence écrite connue à propos du tableau n'indique qu'il a été peint par quelqu'un d'autre que Léonard de Vinci. Il s'agit de l'un des rares tableaux qui soit attribué de façon certaine au grand maître florentin de la Renaissance. Ceci mis à part, il fait l'objet d'un débat d'experts sans fin.
La vie et l'oeuvre de Léonard de Vinci comportent de nombreuses zones d'ombres et si peu de faits qu'il est difficile d'émettre une bonne hypothèse. La Joconde, ou Portrait de Mona Lisa, pose de multiples questions : quand le tableau a-t-il été peint, quelqu'un en a-t-il passé la commande, et pourquoi Léonard de Vinci a-t-il gardé la peinture plutôt que de la remettre à la personne qui l'a commandée ? Reste un dernier mystère, et non des moindres, qui nous intéresse ici plus particulièrement: qui était cette femme au sourire énigmatique ?
La Mona Lisa exposée au Louvre de Paris
La Joconde est exposée au musée du Louvre à Paris, derrière une vitre pare-balles et, selon le service de presse du musée, elle est vue par 6 millions de personnes chaque année. Tout le monde se bouscule devant elle afin d'essayer d'entrevoir son fameux sourire, s'accordant à dire qu'il s'agit de l'une des oeuvres d'art les plus connues au monde. Combien cependant s'en détournent en se demandant pourquoi La Joconde fait l'objet de toute cette agitation ? Elle est devenue une image si familière, reproduite un si grand nombre de fois, tellement parodiée même, que face à sa vraie représentation, qui est en fait d'assez petites dimensions, les gens éprouvent parfois comme une déception.
Une renommée internationale
La renommée dont le tableau bénéficie aujourd'hui remonte au XIXe siècle. Les écrivains romantiques ont commencé à s'extasier à son sujet, récitant des litanies reprises par tous les esthètes de l'époque. Voici ce qu'écrit le célèbre écrivain et critique d'art anglais Walter Pater à propos du Portrait de Mona Lisa : “La présence qui s'éleva ainsi si étrangement au-dessus des eaux exprime ce qu'au cours d'un millénaire, les hommes en sont venus à désirer. Sa beauté charnelle est toute façonnée de l'intérieur. Placez-la un instant à côté de ces blanches déesses grecques, de ces belles femmes de l'Antiquité ; imaginez leur déroute devant cette beauté en laquelle a passé l'âme et son cortège de maladies! Toutes les pensées, toute l'expérience du monde se sont gravées, se sont coulées dans cet habitacle dont elles ont épuré la forme et pétri l'expression : c'est la sensualité naïve de la Grèce, la luxure de Rome, le mysticisme du Moyen Âge avec son ambition spirituelle et ses amours éthérées, le retour du paganisme, les péchés des Borgia. Elle est plus vieille que les rochers parmi lesquels elle est assise”. Au début du XXe siècle, un événement fait les gros titres de la presse du monde entier: le 22 août 1911, on découvre que le tableau, conservé au Louvre, a été volé.
Dans le tumulte qui suit, le poète Guillaume Apollinaire, qui avait un jour crié qu'il fallait “brûler le Louvre”, est arrêté et Pablo Picasso, connu pour détester le tableau, est interrogé par la police. Comme il n'y a pas la moindre preuve contre eux, ils sont tous les deux libérés. Plusieurs années plus tard, un ancien employé du Louvre, Vincenzo Peruggia, est arrêté alors qu'il tente de vendre le tableau à la Galerie des Offices à Florence. Il prétend qu'en tant que patriote italien, il essaie seulement de restituer le tableau à sa vraie patrie. Mais cette excuse est discréditée par l'escroquerie dans laquelle il est impliqué : il avait en effet essayé de vendre des copies en prétendant qu'il s'agissait d'originaux. Peruggia écopera finalement de quelques mois de prison, et le tableau est restitué au Louvre et élevé au statut de célébrité mondiale dont il jouit aujourd'hui encore.
Si l'on aimerait tant connaître l'identité de la femme qui prête son sourire énigmatique à La Joconde, c'est parce que le tableau est devenu extrêmement célèbre. Tout le monde se moque de savoir qui était le modèle pour La Naissance de Vénus de Botticelli, en dehors de quelques historiens de l'art qui n'ont vraiment rien d'autre à faire, et l'on s'intéresse au modèle qu'a choisi Vermeer pour La jeune fille à la perle uniquement à cause du livre et du film du même nom (et, non, ce n'était pas Scarlett Johansson). Mais, en dépit de sa notoriété, la quantité d'hypothèses émises à ce sujet est d'autant plus surprenante que Giorgio Vasari nous dit qui elle était dans son livre Vies des artistes.
Lisa del Giocondo ?
Vasari (1511-1574) est décrit comme le premier historien de l'art et son travail est une source de nombreuses connaissances sur les artistes italiens de la Renaissance. Il n'est pas toujours totalement fiable, mais il est presque contemporain de Léonard de Vinci. Même s'il n'est arrivé à Florence qu'après la mort de l'artiste, on pense qu'il a réellement rencontré la femme qu'il a identifiée comme étant le sujet de La Joconde. Selon lui, il s'agissait de la femme du marchand d'étoffes et de soie florentin Francesco del Giocondo qu'il désigne sous le nom de “Mona Lisa”, qui signifie “Dame Lisa”. Son père, Antonmaria Gherardini, un homme aisé, sans pour autant être riche, et possédait des terres près de Florence. En Italie, le tableau porte le nom de La Gioconda, qui peut se traduire par “la femme heureuse” ou “la femme insouciante”. Le titre est sans doute un jeu de mots sur le nom de Lisa del Giocondo que l'artiste a peinte avec un sourire sur son visage.
On pourrait supposer que cette histoire suffit à régler le problème, mais la vérité est peut-être moins évidente. L'un des arguments les plus fréquemment évoqués contre Lisa del Giocondo en tant que modèle du tableau, c'est que sa famille avait des moyens et un statut social relativement modestes, alors que les portraits étaient presque toujours commandés par des membres de l'aristocratie florentine. Au fil des ans, de nombreuses hypothèses ont été émises, allant du possible à l'improbable, jusqu'à la limite du ridicule. Certains ont supposé avec le plus grand sérieux que le modèle était la mère de Léonard de Vinci, ou l'amant de celui-ci, ou le grand Léonard lui-même qui aurait fait son autoportrait en travesti. On a pu lire des hypothèses plus sérieuses sous la plume d'Antonio de Beatis, qui a rendu visite à Léonard de Vinci en France pendant les dernières années de sa vie, alors qu'il séjournait à Fontainebleau en tant qu'invité du roi François Ier. De Beatis écrit avoir vu un tableau qu'il décrit comme étant le portrait d'une dame florentine, sans donner plus de précisions, si ce n'est que Léonard de Vinci lui aurait dit qu'il avait été commandé par Julien de Médicis (1479-1516). Si tel était le cas, on comprend difficilement pourquoi un membre d'une si noble famille aurait commandé à Léonard de Vinci le portrait de la femme d'un marchand. On a donc pensé à une multitude d'alternatives, la plupart étant des femmes fortunées ou très liées aux Médicis, comme Constanza d'Avalos, qui devint la duchesse de Francavilla, ainsi qu'Isabelle d'Este, la marquise de Manchua. En matière d'aristocratie, ces deux dames correspondent parfaitement au profil, le seul problème étant qu'aucune d'elles n'était de Florence.
Les hypothèses émises pour toutes les autres candidates trouvent des issues similaires: pas impossibles, mais pas très probables non plus. Selon une solution alternative, Léonard de Vinci aurait essayé de peindre le portrait d'une femme idéalisée plutôt qu'un sujet spécifique, même si le tableau a commencé comme une commande qui n'a pas été terminée. Plus récemment, le courant d'opinion a renoué en faveur de Lisa del Giocondo, en particulier après la découverte en 2005 d'une note rédigée au dos d'un livre par Agostino Vespucci, un fonctionnaire florentin contemporain, et la nommant comme le sujet d'un portrait entrepris par Léonard de Vinci. Il donne aussi la date de 1503, ce qui correspond à ce que nous savons sur les mouvements de Léonard de Vinci à l'époque. Il venait de rentrer à Florence après une période à Cesena et on ne dispose d'aucune archive sur ces travaux immédiatement après son retour. On pense qu'Antonmaria Gherardini était un ami du père de Léonard de Vinci, et celui-ci aurait très bien pu peindre le portrait de la fille d'un vieil ami de famille avant que d'autres opportunités ne se présentent. Il n'y a bien sûr aucun moyen de prouver ce scénario, tout comme il n'existe aucun moyen de prouver les suppositions faites sur une autre candidate potentielle. Mais, selon la prépondérance de la preuve, Lisa del Giocondo, la femme du marchand de Florence, l'emporte devant toutes les autres dames, aussi aristocrates qu'elles aient pu être.
